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Forum social de Bretagne et "réalités bretonnes"

Dans le cadre de la préparation du Forum social européen de Paris–Saint–Denis – et désormais soutenu par Vivendi Universal –, 61 forums locaux sont programmés sur tout le territoire. Il serait trop long, dans l'espace d'un article, de les détailler tous. Aussi, je me contenterai, avec humilité, mais avec une certaine malice, je dois l'avouer, d'informer du Forum social de Bretagne et du contexte politique et social local dans lequel il s'est déroulé.
Du 15 au 18 juillet 2003, s'est tenu à Carhaix, ville du Finistère, le Forum social de Bretagne, alors que des milices bretonnantes patrouillaient et faisaient la chasse aux intermittents du spectacle et aux syndicalistes CGT.
Parmi les organisateurs, se trouvaient la Confédération paysanne, ATTAC 29, ATTAC 22, SUD, le G 10, la FSU, Eau et rivières de Bretagne, Côte Ouest, MNCP, Démo Terre Happy, Union des familles laïques, association Pédagogie Animation sociale, Centre culturel breton, CFDT régionale, Terroirs en fête, Association du forum social de Bretagne…
Parmi les financeurs sollicités, figurent la ville de Carhaix (engagement acquis d'au moins 3 000 euros), les conseils généraux de Bretagne (15 000 euros demandés), le conseil régional de Bretagne et le Groupement d'intérêt public du centre–ouest Bretagne (GIPCOB), composé d'élus du département des Côtes–d'Armor et opérant avec l'aval de la région.
Un forum tout à fait classique, en somme, comme il peut en exister ailleurs dans l'Hexagone ! Mais voilà, il se trouve que la bonne ville de Carhaix organisait également un festival de musique: le festival des Vieilles Charrues, les 18, 19 et 20 juillet 2003. C'est une manifestation qui est mise sur pied par plus de 5 000 « laboureurs », bénévoles et salariés (peu de salariés, en réalité).
Suite à l'accord scélérat signé entre le MEDEF et la sulfureuse CFDT, présente au forum, les intermittents du spectacle, à l'appel de leurs fédérations CGT et CGT–FO, décident la grève, entraînant l'annulation de presque tous les grands festivals. Bref, le festival des Vieilles Charrues, comme tous les autres festivals, est menacé. Mais les autorités locales et les organisateurs ont décidé que le festival serait maintenu coûte que coûte, quitte à « sécuriser le site ».
Selon l'AFP, « sous un soleil de plomb, des agents d'une société privée de gardiennage ont commencé à filtrer sévèrement les allées et venues des multiples intervenants, appuyés par des bénévoles de tous âges, reconnaissables à leur parka jaune fluo. Dimanche matin, on ne parlait qu'avec amertume de ces "empoignades verbales" qui avaient opposé la veille bénévoles et organisateurs à quelque 200 intermittents, finalement bloqués à l'entrée du site qu'ils comptaient occuper. »
Cette situation a amené l'Union de Bretagne des syndicats du spectacle CGT à constater que, face à « la situation extrêmement tendue existant dans la ville de Carhaix, l'UBSAC–CGT estime que la sécurité physique même des artistes et des techniciens en lutte ne peut plus être garantie en raison d'éléments organisés en véritables milices, constituées sous l'impulsion de certaines personnalités locales ».
Bien sûr, il est toujours possible de regretter, comme le fait d'ailleurs la LCR Bretagne, que le maire de Carhaix, « homme de gauche et décentralisateur bretonnant dans l'âme… », ait choisi cette période–là pour franchir à nouveau le Rubicon en encourageant les organisateurs à constituer des milices pour que se tienne par la force le festival des Vieilles Charrues, un instant menacé par la grève tout à fait légitime des intermittents du spectacle. Bien sûr, l'action de M. Troadec, maire de Carhaix, tend à décrédibiliser l'aspect social du forum. Mais enfin, M. Troadec n'en est pas à sa première incartade antirépublicaine.
M. TROADEC N'EN EST PAS À SA PREMIÈRE INCARTADE ANTIRÉPUBLICAlNE
Quand, le 18 juillet 2002, devant son conseil municipal, M. Troadec appelle à en finir avec le jacobinisme, en exigeant le transfert de toutes les compétences non régaliennes de l'État à la région, il anticipe le plan Raffarin–Ferry. Pas une voix, dans l'enceinte du conseil, ne s'insurge contre cette position. Mais comme en 2002 le mouvement massif des personnels de l'Éducation nationale contre la décentralisation n'avait pas encore eu lieu, M. Troadec restait un personnage fréquentable et honorable, au point de pouvoir financer et accueillir dans sa bonne vieille ville le Forum social de Bretagne. L'objectif avouer d'implosion de l'école républicaine par l'intégration des écoles Diwan ne semble pas avoir alerté la LCR. Difficile, en effet, quand on se déclare soi–même une fervente partisane de ce mouvement. Alors, à quoi sert–il de pleurer après coup sur le fait que les écoles Diwan fourniraient les bras à de si basses œuvres?
Le deuxième forfait antirépublicain de M. Troadec a consisté à encourager les patrons des festivals bretons à manier la carotte et la francisque. D'une part, en se déclarant solidaire de la lutte des intermittents, d'autre part, en faisant valoir que les festivals bretons, et notamment celui des Vieilles Charrues, étaient organisés par des bénévoles, comme si cela changeait quelque chose à la nature des relations contractuelles établies par des employeurs « associatifs » avec les intermittents du spectacle. Et enfin, en validant le fait que les salariés ne doivent exprimer leurs revendications que dans un cadre de « lutte » établi par l'employeur lui–même, comme sous la corporation vichyste.
Selon le quotidien Ouest–France, « hier, les responsables de plusieurs festivals de Bretagne se sont retrouvés à la mairie de Carhaix. Il y avait, avec les Vieilles Charrues, le Festival interceltique de Lorient, celui du Bout du Monde de Crozon, le Festival de Cornouaille de Quimper, la Saint–Loup de Guingamp et le Festival des arts de la rue de Morlaix. Cela pour annoncer "qu'une solidarité sans faille allait unir leurs différentes manifestations de l'été face aux mensonges, annonces de blocages, voire de menaces de sabotages" dont ils accusent la CGT. En se disant "forts d'un soutien populaire et pacifique". En soulignant que les bénévoles carhaisiens "resteront mobilisés avec les bénévoles des autres festivals pour que toutes les manifestations de l'été en Bretagne aient bel et bien lieu". Un avertissement très précis à ceux qui seraient tentés de jouer les trouble–fête. »
Tout cela a largement été justifié au nom de « l'exception culturelle bretonne » et de la nécessité de « modifier sensiblement les législations inadaptées à la réalité bretonne ». Il faut dire que M. Troadec s'est largement inspiré, pour gérer cette situation sociale, du mécanisme qui préside au budget participatif de Porto Alegre : la population doit présenter ses demandes dans le cadre fixé après paiement de la dette au FMI. Les intermittents peuvent manifester leur opposition à l'accord scélérat, mais dans l'espace accordé par les patrons et en renonçant à leurs syndicats indépendants.
N'en déplaise à la LCR Bretagne, M.Troadec n'a pas une position ambiguë, mais bien une position ouvertement réactionnaire, et le Forum social de Carhaix ressemble comme une goutte d'eau à son grand–frère de Porto Alegre. Certes, la glorieuse université pontificale de Porto Alegre a laissé place à un moins prestigieux collège privé confessionnel bretonnant. Certes, les riches financeurs brésiliens et mondiaux ont mué en petits financeurs bretons, mais tous sont adeptes de l'économie de marché et de l'Europe de Maastricht. Quant à l'association capital–travail prônée par les organisateurs patronaux (CIVES) du Forum de Porto Alegre, elle a été mise en application par les organisateurs du festival.
Et que dire de la chasse aux milliers de ruraux sans domicile qui peuplent le centre de Porto Alegre, sinon qu'elle a laissé place à la « sécurisation des sites » contre toute intrusion des syndicalistes CGT.
Bien sûr, au crucifix est venue s'ajouter la francisque, mais ces deux symboles savent parfaitement cohabiter. Alors, inutile de « menacer » M. Troadec, sur un ton vengeur, en lui prédisant que la tenue du forum social ne transformera pas Carhaix en « Porto Alegre breton ».
C'est vrai que, pour cela, il faudrait qu'un crucifix soit installé dans la salle du conseil municipal de Carhaix, mais la loi de 1905 y veille.
Et le Forum social européen de Paris–Saint–Denis qui promet d'être de la même veine!
D.L.    (semaine du 20 au 26 août – n°603)

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DÉBUTDERNIER ARTICLE ÉCRIRE

LE PROGRAMME DE "TOUS ENSEMBLE À GAUCHE" BRETAGNE

Ne s'agit–il pas d'un projet corporatiste achevé?

CORRESPONDANCE
Vous avez pu lire dans Informations ouvrières (1) le compte rendu du « Forum social de Bretagne ». Ce « forum social » s'est tenu au même moment que le festival des Vieilles Charrues. Vous avez pu voir comment les organisateurs du festival des Vieilles Charrues, en même temps financeurs du « forum social », ont organisé des groupes de choc pour interdire l'accès dudit festival aux manifestants intermittents.
Le centre organisateur de ces « forums sociaux » en Bretagne, c'est la LCR. Ils ont eu lieu à Rennes. Cela s'est d'ailleurs appelé « Forum social du pays de Rennes ». Il faut savoir qu'il y a des « pays » un peu partout chez nous. Ainsi, ` Carhaix, c'est le « pays du roi Morvan ». Ce n'est pas l'Ancien Régime, c'est la légende bretonne…

Au coeur de l'offensive pour la régionalisation dans les départements de l'ouest de la France, il y a « Tous ensemble à gauche », à laquelle ils ont même donné le nom breton : « A gleiz a gevred. » Il s'agit là d'un regroupement politique à l'initiative de la LCR, qui, depuis mars 1998 a deux élus au conseil régional de Bretagne.
Ils ont publié leur position dans un document intitulé « Un projet de transformation politique, économique, culturel… pour les régions ». « Prenant toute sa part », expliquent–ils, « dans le combat politique à la gauche de la gauche en Bretagne, Tous ensemble à gauche entend sur ce sujet faire valoir les valeurs et les idéaux qui fondent son action politique depuis les élections régionales de 1998. »
« Tous ensemble à gauche, association régionale à caractère politique », prend clairement, et sans restriction aucune, position pour la régionalisation. Qu'on en juge.
« Tous ensemble à gauche se prononce délibérément pour l'adoption d'une loi–cadre ouvrant une nouvelle étape à la décentralisation, générale et valable pour toutes les régions. Pour Tous ensemble à gauche, cette loi–cadre doit s'organiser autour des principes suivants : la loi ouvre une possibilité de transfert de compétences complémentaires "à la carte" par la voie d'un contrat entre l'État et la région concernée. »
Ils ajoutent : « Par exemple, la population de la Loire–Atlantique pourrait décider à quelle région elle veut que son département soit rattaché. » Ce sont les bases d'une politique de divisions et d'oppositions artificielles, qui a, par exemple, abouti à la situation dramatique de la Yougoslavie. Dans cette logique, "Tous ensemble à gauche" dit vouloir « en finir avec une certaine mythologie républicaine ».
La République serait donc un mythe, et avec elle, sans doute, les conquêtes qu'y a inscrites le combat de la classe ouvrière, unie avec ses organisations : la Sécurité sociale, les services publics, l'école publique laïque, les statuts et les conventions collectives nationales… Car, dans ce document, il n'est à aucun moment question d'organisation, de classe ouvrière, ni de quoi que ce soit de ce genre. Dans cette « mythologie », clouée au pilori par "Tous ensemble à gauche", le document cite la victoire de Valmy, qui a précédé la proclamation de la République, la nuit du 4 août et l'abolition des privilèges. La nuit du 4 août, c'est–à–dire la fin des ordres, c'est–à–dire l'établissement de l'égalité en droit des citoyens. Cela relèverait donc de la mythologie.
DANS CETTE LOGIQUE, "TOUS ENSEMBLE À GAUCHE" DIT VOULOIR "EN FINIR AVEC UNE CERTAINE MYTHOLOGIE RÉPUBLICAINE"
"Tous ensemble à gauche" se relie explicitement à l'Union européenne : « Au–delà des découpages étatiques historiquement datés, c'est dans le cadre de l'Europe en construction que les valeurs du pluralisme et de la citoyenneté partagée doivent être défendues dans le respect et la reconnaissance de l'identité collective. »
Et l'on arrive, à la fin de ce document, à la question clé : « Il ne s'agit pas seulement de moderniser les institutions du pays. La question n'est peut–être pas de savoir s'il faut plus de décentralisation, mais plus de démocratie (…). Le véritable enjeu, c'est d'avancer vers une démocratie articipative, vers un contr&oci c;le citoyen sur les décisions politiques, à l'instar de ce qui se fait au Brésil, à Porto Alegre. » Ce qui passe par « l'instauration, à côté des assemblées élues, d'instances d'expression collective des citoyens et de leurs organisations ».
À Porto Alegre, en fait de « contrôle citoyen », il a été « donné » aux « citoyens » la possibilité de choisir ici entre une route et une école, là entre une crèche collective et l'accès à l'eau potable! Ceci, dans le cadre d'un budget limité, décidé par la municipalité, et qui comprend en premier lieu le paiement rubis sur l'ongle de la dette au Fonds monétaire international.
La boucle est donc bouclée : on retrouve ici Porto Alegre, le berceau des « forums sociaux », de la politique corporatiste menée au Brésil par les dirigeants de Démocratie socialiste, membres avec Krivine et Besancenot du Secrétariat unifié, avec l'appui sonnant et trébuchant de la Banque mondiale.
A cette « démocratie participative », les travailleurs et les paysans sans terre du Brésil opposent les droits et les garanties, et organisent leur mobilisation unie pour défendre leurs revendications. « Forum social » ou lutte de classe? Démocratie ou corporatisme et régionalisation? Ces questions ne sont–elles pas posées au Brésil, en France, comme dans les autres pays?
G.SIMON     (semaine du 3 au 9 septembre 2003 – n°605)
(1) Forum social de Bretagne et "réalités bretonnes" (Informations ouvrières, n° 603 du 20 août 2003).

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